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juliensabi93

TRAVAILLER DANS UN MAGASIN.

Dernière mise à jour : 26 déc. 2024

Dans cet article, j'ai envie d'aborder un thème qui me semble important car méconnu du grand public, à savoir la question du travail dans le domaine du commerce, plus spécifiquement les métiers de vendeur, employé polyvalent et hôte de caisse au sein des magasins. Des métiers invisibles, décriés, dévalués et dénigrés par une partie de plus en plus importante de la population, cette dernière s'étant sédentarisée et urbanisée de façon exponentielle ces dernières décennies, privilégiant les emplois "de bureau", au sein des métropoles et grandes villes essentiellement, négligeant les métiers de service et le prolétariat, pourtant essentiels (comme cela s'est constaté notamment durant la période du Covid). Quelle est le quotidien et la réalité d'un employé de magasin aujourd'hui, notamment en grande ville ? Quelles sont ses sources de joies, ses contraintes, et quel regard peut-il porter sur la population qu'il perçoit de manière limpide à travers ses castes, ses mondes qui se croisent sans se considérer aucunement, et s'expriment sans contrainte, pour le meilleur et pour le pire ?


UNE VIE DE COMPROMIS.


Tout d'abord, les premières contraintes et difficultés sont liées aux conditions de travail en elles-mêmes, et pour commencer, les horaires. Lorsque "les gens des bureaux" profitent d'horaires de journée, de pauses interminables, de weekends entiers, de jours fériés avec possibilité de faire le pont, des congés à n'en plus compter ainsi qu'une grande importance donnée dans l'équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle ; pour les employés de magasin, il n'en est rien. Le travail s'effectue souvent de nuit, très tôt le matin, ou jusque tard dans la soirée. Cela demande une réelle adaptation dans le cycle du sommeil, les heures des repas, mais également l'aspect psychologique, car travailler la nuit et dormir le jour n'est jamais anodin ni sans conséquence (sans parler de la vie de famille...). Le rythme de travail est souvent très soutenu, les politiques des entreprises concernées privilégiant la majeure partie du temps des économies sur la masse salariale, causant du manque de personnel, et donc une charge de travail décuplée. Le samedi est "la journée clientèle", soit le jour le plus long, le plus usant de la semaine, oubliez donc la soirée jusqu'à deux heures du matin, votre corps vous fera comprendre que tout cela est désormais révolu. Le dimanche est devenu un jour comme un autre, pour la plus grande joie des sédentaires, obtenant le luxe de faire leurs courses durant ce jour autrefois sacré, mais comme le sacré n'existe plus, alors autant le capitaliser.

Le travail n'est, certes, pas aussi physique et éprouvant que celui des ouvriers de chantiers, les déménageurs et autres rudes métiers dans le genre, mais rester debout toute la journée, se baisser, se redresser inlassablement, monter et descendre des escaliers douze mille fois par jour, porter des charges lourdes, pousser des palettes d'une tonne et courir parfois pendant des heures sans temps mort dû à la cadence élevée et, encore une fois, le manque de personnel, n'est pas des plus reposants et cause de nombreux soucis de santé avec l'âge, poussant les employés atteignant la cinquantaine vers la sortie, et les employeurs à ne recruter que la chaire fraiche, capable d'endurer leurs exigences sans broncher, le tout alors qu'il nous est imposé de travailler de plus en plus tard avant l'âge légal de départ à la retraite (ah, la retraite... le Graal qu'attend impatiemment tout employé de magasin).


LES CLIENTS.


Dans tous les magasins, lorsque vous posez la question aux vendeurs et caissières, ils vous diront la même chose : "le plus difficile ? Les clients !" Bien sûr qu'il est primordial de respecter les personnes, quelle qu'elles soient, d'autant plus que la clientèle d'un magasin est l'élément qui permet l'embauche et le salaire de l'employé. Et heureusement qu'une grande partie des clientèles se comportent de façon tout à fait respectueuse, correcte, et parfois agréable au point même de créer une forme de camaraderie entre le personnel et les habitués les plus sympathiques, ce qui apporte un peu de couleur à travers des journées délicates, routinières et parfois éreintantes, tant moralement que physiquement. Mais il faut le dire, dans les grandes villes et de plus en plus avec le temps, travailler en magasin nécessite une maitrise de soi relevant presque du surhumain tant les comportements sont déplorables au possible. Cela va des rayons saccagés cinq minutes après les avoir rangés, des noyaux de cerises laissés au milieu des linéaires, des produits frais ou surgelés laissés dans les rayons secs, en passant par l'irrespect total des règles imposées, des formules de politesse de base laissées aux oubliettes (les mots "bonjour, merci, au revoir" n'étant probablement pas inclus dans l'abonnement), les ordres donnés comme à un chien ou un esclave (ce que certains, à n'en point douter, aimeraient posséder si la loi le leur permettait !), sans oublier le chantage ("si c'est comme ça - comprendre "si je n'obtiens pas ce que JE veux"-, j'irai dans un autre magasin !"), le dénigrement du travail des employés et de leurs compétences, et bien entendu, les insultes, les menaces (allant de "j'vais t'attendre dehors", à "moi, j'ai le bras long, j'vais te faire virer !"), jusqu'à l'agression verbale voire physique. Les vieux de la vieille, dans ce métier, vous le diront : si vous n'êtes pas capable de supporter la bêtise et la médiocrité des gens, mieux vaut changer de métier, car dans un magasin, vous y serez confronté quasiment tous les jours. La culture du "client est roi", de l'individualisme exacerbé et de la surconsommation ont peu à peu transformé une grande partie de la population en individus exécrables dans le rapport à l'autre et dans le même temps extrêmement exigeants envers ceux qui les entourent, à commencer par les travailleurs dans les métiers de service. Les commentaires sur internet le démontrent aisément : la caissière n'a pas souri, le vendeur n'était pas gentil, je n'ai pas ce que je veux... les niaiseries dignes d'enfant de six ans dans des corps d'adultes sont devenues la norme et pullulent dans les chapitres "avis" des pages Google des commerces. Le plus grave étant le fait que malgré l'absurdité et le ridicule qui s'illustre, ces messages font la loi, pouvant ruiner la réputation d'un commerce et mener au chômage un employé tout ce qu'il y a de plus respectable, ayant simplement été trop humain dans un monde qui ne l'est plus. Il serait, à mes yeux, plus que judicieux que les clients insupportables, irrespectueux voir agressifs soient immédiatement bannis des magasins en question, que les employés soient autorisés à répondre dans une logique de légitime défense, et que ces clients en question soient publiquement affichés comme nuisibles et indésirables, sur les vitrines des magasins et sur les pages Google. Ce qui permet les comportements exécrables est le laxisme et l'inversion des valeurs. S'il y avait une réponse adéquate, les comportements changeraient drastiquement, et alors l'harmonie serait possible. L'être humain a une (très) forte propension à la médiocrité et à l'égoïsme primitif, c'est donc l'éducation, le cadre et la justice, à la fois morale et judiciaire, qui permettent de créer des citoyens responsables et respectables. Aucunement sa nature.


Malgré toutes ces difficultés et ces frustrations que les métiers d'employés de magasin provoquent quasi systématiquement, il y a tout de même quelques lueurs de gaieté à y déceler. Les rencontres parmi les collègues, qui peuvent développer de véritables amitiés. Lorsque le cadre le permet, une ambiance familiale peut s'y déployer, une camaraderie très appréciable peut voir le jour avec certain(e)s client(e)s, et parmi la clientèle, certaines personnes peuvent se montrer touchantes, c'est le cas notamment de personnes âgées, souvent modestes et vulnérables, cherchant du contact humain et se montrant des plus adorables lorsqu'elles le trouvent. Dans un magasin, on perçoit le monde tel qu'il est intrinsèquement, loin des idéologies et des récits fantasmés des intellectuels, des artistes et de nos élites vivant dans un monde et une réalité parallèle. Dans un magasin, toutes les classes sociales se croisent et se côtoient, tous les mondes et toutes les vies singulières s'expriment. En caisse, nous avons parfois la sensation de sortir de notre rôle pour devenir des sortes de psychologues, écoutant les gens nous confier leurs joies, leurs espérances, mais aussi leurs peines, camouflées le plus souvent derrière un sourire jaune et quelques phrases pour se rassurer, lorsque le regard raconte tout. Dans un magasin, on observe le luxe briller et la misère la plus lamentable faire partie intégrante d'un tableau que notre système économique ultralibérale signe de sa main sans aucun état d'âme. Travailler dans un magasin nourrit l'esprit du petit écrivain que je suis, durant mes heures non pas perdues, comme dit l'expression, mais plutôt de liberté. C'est un travail difficile, ingrat au possible, mais dont je suis fier et que je ne permets à quiconque de dénigrer.

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